Il était une fois dans l’Ouest

Il était une fois dans l’Ouest

L’enfant de Lisala*, élévé sous le goupillon colonial, décida qu’un beau jour il ne courberait plus l’échine, encouragé par la sirène du fleuve** qui, en pleine rêverie, l’interpela par ces mots :

A l’étranger gourmand
Tu sacrifieras l’étendard
Pour hisser tes galons
Au jeu des maîtres-pilleurs

Et n’oublies pas de m’honorer de sang pur, à chaque nouvelle lune, pour être au faîte de ta gloire…

A peine eut-il le temps d’ouvrir la bouche qu’elle disparut sous les flots.  Certes trop jeune pour saisir toute la teneur du songe, le petit Joseph s’en retourna chez lui empli d’un nouveau regard.

Les années passèrent sans qu’il ne cesse de repenser à cette étrange rencontre, convaincu  qu’il était promis à un grand avenir.  Devenu adulte, il se mit à glaner quelque grade d’officier et noua des amitiés d’indépendance, tout comme des liens discrets avec l’Oncle Sam et d’autres visages pâles.  Tandis que son camarade Patrice haranguait les foules d’une liberté si longtemps volée, le futur dealer de matières premières choisit de jouer une autre partition, encouragé par l’orchestre colonial de Belgique.

Si habilement qu’en hérault du peuple on passa du franc leader, baillonné et dissous dans les intérêts capitaux, au jeune colonel bien aligné sur le champ des convoitises. Aussitôt promu shérif° de l’Ouest par certaines chancelleries, Joseph n’allait pas s’en tenir à ce premier coup d’éclat…

Après la vague de ministres éjectables, un parti inique et l’amour martial habillèrent rapidement le règne de l’Aigle de Kawele, président fondateur de trois décennies de valses diplomatiques, de louanges à billets et d’éléphants blancs comme leurs assistances techniques.

Joseph s’installa ainsi confortablement sur le trône, édifiant son culte aux lie$$es populaires, paré d’une authenticité en toque et abacost.  Le papa national alla même jusqu’à descendre du ciel à l’ouverture de chaque journal télévisé.  Mais cette époque dorée, face aux évitables ajustements structurels du sacro-saint développement et à un bloc soviétique se déglinguant peu à peu, vit le marbre politique se fissurer peu à peu.

D’autant que la rue n’était pas dupe :

Sese seko mon oeil
NOUS sommes les guerriers
Les bataillons du système D
Pas de ton combat du siècle
Où tes victimes empliraient le stade

De fait, les fastueux banquets à Gbadolite ignoraient les estomacs creux de Matonge, les  millions de zaïre n’achetaient plus aucune illusion tandis que les crocodiles mangeaient copieusement de l’opposant. Le roi léopard devenait-il vincible ? Car il eut beau interroger le fleuve, aucune femme-poisson ne se pointait à l’horizon, ni les amis belges et d’Amérique d’ailleurs. Même le copain Baudouin ne répondait plus au téléphone pour les vœux de bonne année!

N’ai-je pas déjà consenti assez de sacrifices pour cette Mami Wata? Que veut-elle de plus se demandait-il jusqu’à l’obsession.

Si l’ouverture forcée aux voix plurielles donna au guide de la nation des larmes d’émotions, il s’accrocha à son sceptre quelques saisons des pluies encore, avant qu’un vieux maquisard contrebandier ne débarque de l’Est pour le lui ravir, au gré d’alliances inattendues.  Malgré une tape dans le dos du sage Madiba, c’est malade et désavoué de tous que le maréchal dut se réfugier fissa chez son confrère marocain du potentat.

Et là, au soir de sa vie, lors d’une promenade en bord de mer, la créature des eaux lui apparut une dernière fois pour transmettre ce funeste message :

Le pouvoir a un prix
Tes morts te réclament
Je t’ai promis la puissance
Pas la serénité de ton âme
Rejoins à présent le fils d’Onalua***

A ces mots, il s’effondra pour de bon, le cœur arrêté sur une question adressée à l’enfant de Lisala qu’il était : qu’aurais-je été sinon le monstre des colonies ?

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*Joseph-Désiré Mobutu

° Pensée pour les collègues Pinochet, Papa Doc, Hassan II, Trujilo, etc.

**Mami Wata

***Patrice Lumumba