A l’hiver doudounnant la fin d’année 1993, certains walkman ronronnaient dans la poche des baggy, sous le méthodique Cash Rules Everything Around Me (C.R.E.A.M) du Wu Tang. Sur un sample des Charmels, leur slang brillait comme le grillz à la bouche du Reakwon. Le Clan y pointait toute sa verve à l’assaut de la fatalité des blocs, au diapason d’un grand millésime : Insane in the brain de Cypress Hill, Electric Relaxation de Tribe Called Quest et autres raps étoilés.
Cette année-là, C.R.E.A.M fut de la bande-son d’une épiphanie, rasant nos cheveux en quête d’attitude face à la déferlante grunge. Alors que Bill jouait du cigare à la Maison blanche, on ajustait les shoots au playground du parc Georges-Henri. Là, sous le préau enfumé par le blunt de New Jack locaux (une pensée ici pour Newton), un boomblaster crachait un condensé de Yo! MTV Raps ou du Cut Killer Show, ambiançant la succession des matchs sur demi-terrain.
Ce parfum d’Amérique ne s’arrêtait pas en si bon chemin : une vingtaine de cliques bruxelloises maturaient alors aux disciplines de la Zulu Nation, scratchant la dernière plaque dégotée chez Music Mania, vrillant des jambes galerie Ravenstein, ou en décorateurs fantômes du métro. Quant aux Puta Madre, Big Shot, CNN et autres malfrats linguistiques, ils s’instituaient maîtres de cérémonie de ce mouvement juvénile faiseur de Princes de la ville.
Notre ennui scolaire avait pris, à coups de fourches et de ballades nocturnes, la manie des calligraphies mal famées. Un blase inlassablement trituré aux canons du wildstyle nous embarquèrent sans peine sur les bancs de cette nouvelle école. L’une de ses vitrines était la boutique Boogiedown qui se chargeait de fournir les couleurs de nos fantasmes à coucher dehors, comme un daron en crise de la cinquantaine. Au crépuscule, nous rompions le cordon familial sur la pointe des pieds pour rejoindre ce moteur à projection qu’était le crew, dont les traces ne valaient que pour le regard entraîné des pairs. Le terrain d’expression n’avait de limite que celle imposée par le lever du soleil et le faisceau des feu golfs GTi.
Ces plongées dans la zone interdite nous offraient un autre espace-temps, une corporation secrète à l’abordage de la monotonie et d’un statut confidentiel nourrissant nos besoins d’ailleurs et de création. Une pratique intense qui ne durerait qu’une décennie pour une majorité, bientôt moins friande de cache-cache avec les Starski, alors que d’autres courbes prendraient l’ascendant sur ces braquages graphiques dont le trip collectif allait doucement s’évaporer comme la fumée de nos rêves incandescents.
En novembre 2004, la disparition d’Ol’Dirty Bastard amputa le Wu de la technique de l’homme ivre tandis que leurs sabres s’émoussaient sur la vague d’un rap club conquérant. L’étendard parisien des 93NTM était également en berne et, malgré quelques gardiens ou innovateurs s’écartant des sirènes du showbiz, le « move » avait perdu selon moi quelque chose, probablement notre candeur d’adolescent.
Si depuis, les échappées clandestines sont devenues sporadiques, des compos légales, des fresques rémunérées ou juste une nostalgie pour certains, cette culture made in US n’a jamais cessé son expansion. Le street art a largement percé les murs des institutions, les trains continuent de se couvrir de Top 2 Bottom et des centaines de sketchs dans les blackbooks préparent toujours la prochaine virée… poursuivant cette aventure savoureuse, nappée de sauce américaine.
A mes homies
SHY
