Toast cannibal

Toast cannibal

En cette fin d’après-midi, Salambo Kouglof se dorait la pilule sur la terrasse du  Mantecados, sirotant son coktail fétiche : le Blue Mothafucka.  Ce dandy poivre et sel y avait passé la journée à rédiger un article sur le transfert du liégeois Moka Baklava au Sporting Club Borëk d’Istanbul. Il achoppait sur le titre de l’entrefilet : « Un départ éclair  glace l’avenir du noyau rouge ».

Vers 18h, une charmante silhouette s’installa à la table voisine. Vêtue d’une robe mousseline et de spartiates cerises, sa peau dégageait un doux parfum de coco. Sous les lunettes fumées, on devinait ses yeux marrons et un visage délicat, magnifié par des boucles tortillant jusqu’à ses épaules. La jeune femme commanda un café-crème, puis se mit à fredonner discrètement Fruit de la Passion de Francky Vincent.

Calée sur son pas de porte, Madeleine, la patronne du bistrot, jeta un regard espiègle vers Salambo, client aussi fidèle que son appétence pour les dames.  Et de fait, dévoré par l’envie de faire sa connaissance, il mijota une amorce avant de lâcher tout en mignardise :

-Bonjour Mademoiselle, excusez-moi.. mais votre père ne serait-il pas fabriquant de biscuits?  Elle répondit d’un non assez sec, avant de demander le pourquoi de cette étrange question.

-Car vous êtes vraiment trop craquante! D’ailleurs, sachez que je suis baba au.. Il dut  aussitôt interrompre cette approche pourrie car Madeleine lui coupa la vue en déposant quelques zakouskis sur sa table.

-Et bien enchantée, moi c’est Charlotte, enchaîna-t-elle d’un rire délicieux, avant que Salambo ne l’invite à partager un toast.  D’humeur flan flan jusque-là, il devint tout guilleret car la sauce prenait plutôt pas mal, d’autant que l’inconnue y allait aussi de sa blagounette mielleuse:

Vous êtes plutôt cannibal ou avocat?

– Cela dépend de la cliente répliqua notre homme d’un clin d’œil appuyé, sans faire attention à la dentition pointue arborée par la demoiselle.

Il suggéra d’entamer l’apéro à coup de jambon tendre et quelques bulles. Salombo lui offrit donc une coupe de champagne bien frappé, tandis qu’ils continuèrent leur causerie. Elle confia qu’elle venait de Chantilly, travaillait sur des opéras bouffes et habitait non loin du jazzclub L’Archiduc. Lui se présenta comme journaliste à la Gazette des Spores, grand fabophile et résidant à deux pâtés de maison, avenue des Croustillons.

Déjà légèrement beurré, Salombo déballait ses salades à Charlotte qui ne se laissait pas mariner et prenait même un certain plaisir à le voir mitonner allègrement.

Quelques verres plus tard, notre quinqua pensait pouvoir emballer l’issue de ce merveilleux duo, tant elle lui paraissait chocolat. Mais il allait vite déchanter car sa façon gourmande de scruter ses rondeurs provoqua chez Charlotte une réaction tranchante :

– Dites mon chou, ne croyez pas que vous allez m’enrober aussi facilement? Si je vous semble visiblement appétissante, faudrait quand même pas me prendre pour une quiche!

Elle lui somma de mettre un peu d’eau dans son vin, puis prétexta vouloir se repoudrer le nez, avant de s’évaporer au fond du bar.

Déconfit, Salambo se retrouva donc seul sur la terrasse, tandis que son espoir de la voir revenir fondit peu à peu. Mais alors qu’il louchait déjà depuis dix minutes vers une blonde émoussée, Charlotte réapparut à sa table.

Facilement soupe-au-lait, elle expliqua sa gêne de se voir manger des yeux de la sorte, mais lui dispensa un pulpeux baiser sur la joue en guise de pardon. Quelque peu remué, Salombo balança qu’il n’avait plus d’oseille mais qu’il l’inviterait volontiers à prendre un Bloody Mary à la maison.

A sa grande surprise, Charlotte accepta et une fois réglée la note, ils partirent en direction de son appartement vers 22h30, sous un beau croissant de Lune. Et après cela? Mystère et boule de gomme! On ne revit plus jamais Salombo au bistrot, à la Gazette ou nulle part ailleurs. Une enquête fut lancée, sans pouvoir élucider cette curieuse disparition . Seul un mot énigmatique, laissé sur son lit, disait ceci:

Je m’en vais goûter les plaisirs de la chair, épicer le quotidien morne des jours, d’une américaine, tartare ou andalouse peu m’importe, pourvu qu’on croque la vie à pleine dents. Bisous, Salombo

Quant à Charlotte, Madeleine la croisa par hasard six mois plus tard, derrière la vitrine de « L’os à moelle », traiteur de la rue des Cailles.  Elle n’osa aller la cuisiner sur cette fin de soirée avec Salombo. Convaincue jusqu’ici que ce sans galette avait dû fuir de nombreuses casseroles, elle nourrit alors un sérieux doute : cette femme avait-elle monté ce cornichon en sauce avant de le faire disparaître? Mais comment et pourquoi?

Madeleine décida d’en parler sur le champ à son ami le commissaire Pepperoni, sans s’apercevoir que Charlotte l’avait aussi remarquée du coin de l’œil et sortit discrètement lui filer le train.

Il serait malvenu de vous raconter la suite par le menu, car ce fut une véritable boucherie.  Sachez seulement que l’une des deux se fit hacher proprement et que le Mantecados dut mettre la clef sous le paillasson…

Les hommes papiers

Les hommes papiers

Une impression amère en billet d’espoir local

Aux passeurs des mers l’avenir se fait la malle

 

Pour de foutus papiers faut se mouiller à perte

Par chemins s’échapper de pages au corps inerte

 

Si la jambe croisée titre sans-papier c’est coton

Le fait divers sous-titre mâché la presse et violon

 

Décalquée au rouleau l’info feint la boulimie

Buvard du diner chaud elle s’avale jusqu’à la lie

 

Annoncez la couleur pas pied sans drapeau

Face au Nord contrôleur nulle réponse bateau

 

Alors Sud ton passeport pour l’importune visite

Sondent les sémaphores vers des mines proscrites

 

Au chant des sirènes c’est un phare d’escadrille

Parfois la coulée vaine, une vague de retour sans vie

 

L’Europe fait sa cocotte, Schengen son protecteur

Combien passent la porte d’une maison close de peur

 

A l’impression d’être volé, qu’il eut fallu mieux naître

Dans un présent vindicatif pour le futur de l’étranger

 

Soyons franco Germaine accueillir leurs géhennes

Soudanaise ou tchétchène est-ce bien notre veine

 

Ce cœur blasé de drames à la commande d’un écran

Gomme à souhait la trame par l’info-divertissement

 

A la roue de l’infortune meurt une famille en or

Est-ce donc le juste prix du public aux yeux morts

 

Par des recyclés d’infos, une série carbone USA

Les abrasifs like & xoxo, pas de j’aime pour Ceuta

 

Bouffant le grain quotidien Recto sort avec Visa

Sans carte clandestin, Verso s’agrafe à Lampedusa

 

En-tête de verres à bulles le ministre gaufré de soie

Acte les existences nulles, signées du rentre chez toi

 

On peut jouer au crayon rouge sans leçon à dicter

Le tableau ne bouge à l’aune du devoir manqué

 

Finissons la rhétorique, la dissertation d’un constat

Il y a des statistiques, certains hommes ne comptent pas

 

Adaptation musicale du texte par Loumèn  : https://soundcloud.com/loumenmusic/les-hommes-papiers

Chères mélanines

Chères mélanines

Bâtards qu’ils brayaient

A cracher sur vos tombes

Cet haras de bêtes décrets

Des ânes pur sang le comble

Quand Paris jouait le soir

Les airs de Saint-George

Une cale scellait à Dakar

L’humanité sous la gorge

De l’océan aux flambeaux

D’une vision monochrome

Sous le triangulaire fléau

D’étranges fruits syndrome

Des meurtres épidermiques

D’une noirceur indélébile

D’assassines chroniques

De Baltimore à Emmet Till

———-

Si d’aventures marrons

Seul un brin fut le nègre

Du mas aux plantations

Que de vies bien aigres

A la prison de mélanines

L’aliénation est le maton

La négritude l’enquiquine

Des pigments portefanon

Sous le jazz elle dandine

Dans l’Harlem renaissance

Et Du Bois jusqu’à Baldwin

Ont cheminé les délivrances

Des créoles aux zoreilles

Les demoiselles signares

D’une amère peau de miel

Classée chabine d’un quart

———-

Gens de couleur refrain

Ô daltonien le chœur

Rougeoyant son teint

Au festival des candeurs

Mais la maison blanche

Sous une ombre demeure

La colère noire s’enclenche

Quand marinent les peurs

Que pique la petite Rose

Par ta peau brune est moche

De l’école ma fille morose

A vouloir sonner la cloche

Celle tombant les fureurs

Qui martèlent de souche

Avant qu’un Ali rêveur

Un soir ne les couchent

 

– pix : W.E.B Dubois –

Animal Tram

Animal Tram

Par un froid de canard, je prends le tram 81 pour rejoindre Marilou au Red Monkey. Face à moi, un gars à l’haleine de bouc semble chercher la petite bête mais je lui souris laconiquement, pris surtout par l’envie de pioncer comme un loir.  Alors qu’il ne me reste que quelques arrêts, je m’assoupis sur la banquette zébrée jaune et bleue, puis soudain..

Ce dodo m’assomme
Complice d’un gang dingo
Pingouins en haut-de-forme
Queue-de-pie et mocassins croco

Six molosses minimum
M’escortent au Dog Disco
Coffré dans un petit aquarium
Comme spectateur de bébête show

Un bocal ça déforme
Que croît ce vil crapaud
En mezzo le baveux performe
Ses gazouillis sur un étrange micro

Quelle voix difforme
Grogne un cochon bobo
Le chapeau à plume conforme
Au boa vert-pomme de sa laie aristo

Une accroc au rhum
Fan des combo d’asticots
Moquant les chicots informes
Du varan à smoking griffé Komodo

Un escroc qui slalome
Dans le commerce de gros
Patron volatile des galliformes
Lézardant sur son banc de maquereau

Ses crocs énormes
Consomment en apéro
Coco et cocottes filiformes
Fumées au cohiba plus whisky à gogo

Mais ce vieux bonobo
Singeant un gentilhomme
Est le commissaire incognito
Venu pincer le mafieux capharnaüm

Quel gecko énorme
Rumine la biche au kimono
L’espionnant comme l’opossum
Bien camouflé sous le coquet blaireau

Trop pro ces gnomes
Ça sent les poulets au kilo
Commente le gras bonhomme
Vociférant sa rage en noms d’oiseaux

Faut qu’on dégomme
Cette volaille et pourceaux
La sulfateuse à balles dum dum
Somme le boss au gorille en perfecto

Ô mollo les mômes
Ou je vous mets tous K.O
Les mafiosos lachez vos magnums
Toi le cerveau reptilien fait pas le zozo

Dit le majordome
Tapi derrière les zigotos

Le colt tendu en guise d’ultimatum

De cette cage à poule promise au fiasco

Sortez-moi de ce foutu bocal fis-je, pouvant m’évader enfin de ce mauvais traquenard. C’est un récidiviste m’apprend le boeuf en uniforme qui me libéra d’un simple coup de sabot. Il est dans la nature depuis un moment.. Grâce à quelques pattes bien graissées, il a pu s’enfuir de la prison de Forest avant de disparaître dans la nature et d’ouvrir ce tripot. Il traficote aussi aux “Creux Divers” du bois de la Cambre, avec un certain Dodo-la-Morue, dont la spécialité est de rouler les gens dans la farine. C’est un beau coup de filet.. ça fait des mois qu’on traque cette anguille…

A cet instant, le cri perçant d’un pékinois assis sur une vieille bique me sortit brutalement de ce rêve sans queue ni tête, mais juste à temps pour descendre du tram et m’éviter de poser un lapin à Marilou.

Loveur dose

Loveur dose

La nuit délire

Ô stupéfiant souvenir

En ritournelle cristalline

Je vous déroule mon spleen

 

D’un air de fête

A cette virée secrète

Ce coeur accroc vascille

En sa craquante compagnie

 

Quelle mort ffine

La chenille fumaille

Ce trip en fffait ta mine

La chasse au dragon se taille

 

Une ligne claire

Comme la lune légère

Calé sur ton coulis cannelle

Mon œil voit bonbon caramel

 

Ce bassin me trouble

Je le bois juste à la paille

Aspirant l’envie d’un double

A l’horizon d’une sacrée maille

 

Nos corps s’enlacent

Sur l’essence à dériver

Mise à feu de la mélasse

Injonction à mains serrées

 

De flocons ma douce

Au pic de ton Fujiama

La poudreuse nous émousse

J’introduis mon kamehameha

 

Mescaline saisie

En vers tueuse manie

Ma diction fond cahin caha

Cette héroïne pure inspirée de toi

Ibuka

Ibuka

Si nous sommes morts sans pouvoir se sauver du conte nilotique

D’un label noir, des yeux livrés au gin, de l’aveuglement fraternel

Des machettes chinoises, du travail organisé, des ondes meurtrières

D’une vision turquoise et d’impassibles témoins

Si nous sommes morts des croyances assassines,

De leur « massacre grandiose », d’une haineuse maisonnée, des pauvres collines

De querelles importées, des cris silencieux, d’images ressassées à l’abandon des regards

Malgré les justes, ne pouvant éviter le fleuve des corps et des entailles

De silhouettes roses laissées à leurs fantômes, des cols blancs repus d’une pensée inique

D’un feu qui n’est pas éteint

Nos esprits veillent sur les ombres portées à la bougie des mémoires

Des retours au pays, des danses nouvelles

Sur le chemin des cicatrices ont poussé des enfants aux mille futurs

Dont les voix libres porteront le flambeau de nos âmes

Bons baisers de B.

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Fille d’Europe, en vitrine du Nord

Sur ta petite ceinture se boucle le sérail

Qui parcourt nos sombres hivers

 

S’il te regarde droit dans les yeux

Le passant saisit d’étranges charmes

Derrière la triste façade, une belle dame

 

Aux pas de portes fantômes

Diva d’une Senne à l’air impur

De pluies froides, d’un soleil infidèle

 

Que l’on laisse sans jamais te quitter

Tu es la ville promenant mes nuits

Ce bordel qui me retiendra toujours

Calippo

Calippo

Une embuscade

Des soldats ensablés

Au fort d’une seule marée

La guerre en plastique fait rage

 

Au son des vagues

Trafic de fleurs en papier

Contre un seau de coquillages

A l’ombre furtive d’un cerf volant

 

Les jours fondent

Comme une glace à l’eau

A l’assaut du dragon brise-lame

Mon filet sillonne ses écailles de mer

 

Le cœur doré

Au soleil du Nord

Epris d’une jolie flamande

Je m’endors dans un lit-bateau